découvrez le combat de cette professeure de droit féministe qui milite pour l'abandon des arrestations dans les cas de violence conjugale. son approche innovante et ses arguments éclairent un débat crucial sur la protection des victimes et les méthodes d'intervention policière.

La professeure de droit féministe qui plaide pour l’abandon des arrestations en cas de violence conjugale

La violence conjugale a longtemps été combattue par des politiques privilégiant l’incarcération des agresseurs présumés. Des recherches récentes remettent pourtant en question l’efficacité de cette approche, particulièrement pour les femmes racisées et défavorisées. Le mouvement féministe se trouve divisé sur cette question cruciale. D’un côté, l’approche pénale traditionnelle vise à protéger les victimes par des arrestations obligatoires. De l’autre, un courant abolitionniste féministe suggère que le système judiciaire peut aggraver la situation des victimes vulnérables.

Les dispositifs actuels comme les lois d’arrestation obligatoire et les poursuites systématiques ont été conçus pour protéger les femmes battues. Pourtant, ces mesures ont paradoxalement conduit à une augmentation spectaculaire des arrestations de femmes et ont échoué à faire baisser significativement les taux de violence. Cette situation soulève des questions fondamentales sur notre façon d’aborder les violences genrées et les alternatives possibles pour soutenir efficacement toutes les victimes.

Les limites de l’approche carcérale face aux violences conjugales

L’approche carcérale face aux violences conjugales a montré des résultats mitigés malgré des décennies d’application. Les taux de violence n’ont pas significativement diminué alors que le nombre d’arrestations a explosé. Cette réalité a poussé de nombreuses juristes féministes à réexaminer les fondements de ces politiques.

Le système judiciaire actuel se concentre principalement sur la punition d’actes isolés plutôt que sur le schéma continu de contrôle et de coercition qui caractérise souvent la violence conjugale. Comme l’explique la juriste Deborah Tuerkheimer, citée dans plusieurs travaux académiques, cette approche ne parvient pas à saisir la nature même du phénomène qu’elle tente de combattre. L’écart entre ce que les victimes recherchent – stabilité financière, logement sécuritaire, thérapie familiale, excuses, traitement des dépendances – et ce que le système propose – arrestation, poursuites, séparation complète – est souvent abyssal, comme le souligne l’ex-députée bretonne interrogée par Ouest-France sur l’évolution des droits des femmes.

Des études de suivi à l’expérience de Minneapolis, qui avait initialement suggéré les bienfaits des arrestations obligatoires, ont révélé des résultats troublants. Non seulement ces études n’ont pas reproduit les résultats initiaux, mais certaines ont montré l’inverse : l’arrestation d’un agresseur présumé augmentait les risques de violence future, particulièrement lorsque l’accusé était noir ou sans emploi. Plus inquiétant encore, les femmes dont les partenaires avaient été arrêtés présentaient un taux de mortalité prématurée 64% plus élevé que celles dont les partenaires n’avaient reçu qu’un avertissement. Parmi les victimes noires, l’arrestation du partenaire augmentait la mortalité prématurée de 98%.

L’impact disproportionné sur les femmes racisées

L’entreprise Amnesty International et d’autres organisations de défense des droits humains ont documenté comment l’approche carcérale affecte différemment les communautés selon leur origine ethnique et leur statut socio-économique. Les femmes noires et racisées sont souvent plus réticentes à appeler la police, craignant que le système ne criminalise leurs partenaires, ou pire, qu’elles soient elles-mêmes arrêtées ou séparées de leurs enfants.

En Californie, après l’adoption des lois d’arrestation obligatoire, les arrestations d’hommes ont augmenté de 60%, mais celles des femmes ont explosé de 400%. Cette disparité reflète un système qui, tout en prétendant protéger les femmes, peut finir par les punir – en particulier celles qui se défendent contre leurs agresseurs. Les femmes d’exception qui ont façonné l’histoire des droits des femmes n’avaient probablement pas anticipé ces conséquences imprévues.

Effets des lois d’arrestation obligatoire Hommes Femmes
Augmentation des arrestations en Californie +60% +400%
Augmentation de la mortalité prématurée N/A +64% (général), +98% (femmes noires)
Risque de perte de garde d’enfants Faible Élevé

Les marques comme Ford Foundation et Open Society ont financé des recherches qui montrent que les femmes qui sollicitent l’aide du système judiciaire peuvent se retrouver prises dans un dédale bureaucratique. Certaines doivent comparaître devant le tribunal à maintes reprises pour obtenir une simple ordonnance de protection. Après une douzaine de comparutions, certaines abandonnent, craignant de perdre leur emploi en raison de leurs absences répétées. Et certaines perdent effectivement leur travail, ce qui est particulièrement dévastateur lorsqu’elles deviennent soudainement parent célibataire.

Les racines historiques d’une approche contestée

L’appareil judiciaire en matière de violence conjugale remonte principalement à 1984, année où les chercheurs Lawrence Sherman et Richard Berk ont publié les résultats d’une petite étude préliminaire, l’Expérience de Minneapolis sur la violence conjugale. Cette étude suggérait que lorsque la police arrêtait un agresseur présumé, celui-ci était moins susceptible de commettre une autre infraction au cours des six mois suivants.

La même année, une femme de Torrington, Connecticut, a gagné un procès de plusieurs millions de dollars contre sa ville après que la police n’a pas arrêté son mari malgré de multiples signalements de menaces et de violences. Le tribunal a conclu que le service de police local avait « un modèle ou une pratique consistant à offrir une protection inadéquate, voire aucune protection, aux femmes qui se sont plaintes d’avoir été maltraitées par leur mari », en violation de la clause d’égale protection du 14e amendement.

Cette décision a mis en garde les services de police à travers le pays qu’ils pourraient être tenus responsables s’ils n’arrêtaient pas un agresseur présumé, et l’étude semblait soutenir une approche carcérale. Les États et les villes ont adopté des lois rendant l’arrestation obligatoire lorsque des violences conjugales étaient alléguées – même lorsque le préjudice était si mineur qu’une arrestation n’aurait pas été autrement autorisée. Les femmes oubliées de l’histoire nous rappellent combien ces évolutions juridiques étaient révolutionnaires à l’époque.

Le débat au sein du féminisme

Durant les années 1970, de nombreuses féministes noires éminentes, notamment celles du Combahee River Collective, ont reconnu le rôle des inégalités économiques et raciales dans la violence conjugale. Elles ont proposé un modèle d’aide sociale, cherchant à autonomiser les femmes par un financement direct. Ces féministes ont rejeté le « modèle de séparation » prédominant proposé par les féministes blanches, conscientes que de nombreuses femmes noires n’avaient pas les ressources nécessaires pour quitter leurs partenaires violents.

Comme le documente la professeure de droit Aya Gruber dans son livre de 2020, « The Feminist War on Crime: The Unexpected Role of Women’s Liberation in Mass Incarceration », ces féministes comprenaient également que les femmes noires ne pouvaient pas tourner le dos aux hommes noirs. « Notre situation en tant que personnes noires nécessite que nous ayons une solidarité autour du fait de la race, ce dont les femmes blanches n’ont bien sûr pas besoin avec les hommes blancs », affirmait une déclaration du groupe.

Mais dans les années 1980, leurs voix avaient été noyées par celles des féministes du courant dominant, majoritairement blanches, hétérosexuelles et pro-police. Ces dernières n’étaient pas exposées aux risques immédiats d’arrestation, de déportation ou de perte de leurs enfants au profit du système de placement. Elles ne supportaient pas les coûts de la criminalisation.

  • Modèle carcéral : privilégie l’arrestation et la criminalisation des agresseurs
  • Modèle d’aide sociale : se concentre sur l’autonomisation économique et sociale des victimes
  • Approche communautaire : développe des solutions locales adaptées aux besoins spécifiques
  • Justice transformative : travaille à réparer les préjudices tout en transformant les conditions qui permettent la violence
  • Approche intersectionnelle : considère comment race, classe et genre s’entrecroisent dans les expériences de violence

Pour beaucoup de spécialistes aujourd’hui, l’approche carcérale de la violence genrée fait plus de mal que de bien, surtout pour les victimes noires. Les femmes en marche pour l’égalité des droits doivent désormais intégrer ces considérations dans leurs revendications.

Vers des approches alternatives pour lutter contre les violences conjugales

Face aux limites de l’approche carcérale, des solutions alternatives émergent. Les défenseurs d’une approche plus centrée sur les besoins réels des victimes proposent de réorienter les ressources vers des services de soutien plutôt que vers la criminalisation systématique.

Le système judiciaire est conçu pour poursuivre des actes criminels discrets, mais la violence conjugale se manifeste souvent par des mois ou des années de coercition et de contrôle. La juriste Deborah Tuerkheimer a suggéré de créer un nouveau crime de « maltraitance », défini comme un comportement visant à gagner du pouvoir et du contrôle sur autrui. Cependant, certains craignent que la création de nouveaux crimes n’étende l’emprise du droit sur la vie des femmes.

Les organisations de terrain comme SafeHorizon et The Network/La Red développent des programmes qui offrent un soutien complet aux victimes sans nécessairement passer par le système judiciaire. Ces approches comprennent un logement d’urgence et à long terme, une aide financière, un accompagnement psychologique et des groupes de soutien. Anne Bouillon, avocate spécialisée, témoigne qu’en défendant les femmes, elle a « découvert un continent de souffrances » que le système judiciaire peine à appréhender.

Justice transformative et approches communautaires

La justice transformative propose une alternative au système pénal traditionnel. Plutôt que de se concentrer sur la punition, elle vise à réparer les préjudices tout en transformant les conditions sociales qui permettent à la violence de se produire. Cette approche reconnaît que la violence ne se produit pas dans le vide, mais est façonnée par des structures sociales plus larges.

Des initiatives communautaires comme Creative Interventions à Oakland offrent des ressources pour aider les communautés à développer leurs propres réponses à la violence, sans nécessairement impliquer la police. Ces approches reconnaissent que les solutions les plus efficaces viennent souvent des personnes qui connaissent le mieux la situation et le contexte.

L’intersection entre féminisme et abolitionnisme pénal ouvre de nouvelles perspectives pour repenser notre approche de la violence conjugale. Ces courants critiquent l’idée que la prison puisse être une solution féministe à la violence, notamment parce qu’elle reproduit souvent les mêmes dynamiques de pouvoir et de contrôle qu’elle prétend combattre.

Le combat pour un soutien réel aux victimes de violence

Malgré les défis posés par le système actuel, des avancées significatives ont été réalisées dans la lutte contre les violences conjugales. Les centres d’accueil pour femmes battues, les lignes d’assistance téléphonique et les programmes de sensibilisation ont sauvé d’innombrables vies. Ces femmes qui ont fait avancer le droit des femmes en France ont posé les jalons essentiels de ces dispositifs.

Des organisations comme Women’s Aid et Refuge adoptent une approche holistique qui reconnaît la diversité des besoins des survivantes. Elles offrent un soutien personnalisé qui peut inclure un hébergement d’urgence, des conseils juridiques, un soutien psychologique et une aide à l’emploi.

  1. Mise en place de solutions de logement sûres et abordables
  2. Développement de programmes d’autonomisation économique
  3. Création de services de santé mentale accessibles et culturellement adaptés
  4. Formation des intervenants à une approche tenant compte des traumatismes
  5. Soutien aux initiatives menées par des survivantes

Des projets pilotes comme Common Justice à New York démontrent qu’il est possible de répondre à la violence sans recourir systématiquement à l’incarcération. Ce programme offre une alternative aux poursuites pénales pour les crimes violents, en utilisant un processus de justice réparatrice qui satisfait les besoins des victimes tout en tenant les auteurs responsables de manière significative.

Les entreprises comme Lush et The Body Shop ont également contribué en finançant des programmes innovants de lutte contre la violence conjugale qui vont au-delà de l’approche pénale traditionnelle. Ces initiatives reconnaissent que la sécurité et le bien-être des survivantes doivent être au centre de toute réponse à la violence.

La discussion autour de la criminalisation des violences conjugales révèle une tension fondamentale dans le mouvement féministe entre la demande de protection par l’État et la reconnaissance des préjudices que l’État peut causer. Récemment, des personnalités comme Laure Calamy et Annie Ernaux ont rappelé comment des femmes ont été criminalisées par le passé pour avoir cherché à exercer leur autonomie corporelle.

La recherche de solutions plus efficaces et équitables pour lutter contre la violence conjugale se poursuit. Elle nécessite d’écouter attentivement les voix des survivantes, particulièrement celles des communautés marginalisées, et de reconnaître qu’une approche unique ne peut convenir à toutes les situations. Le véritable progrès viendra peut-être d’une combinaison d’approches qui reconnaît la complexité de la violence conjugale et offre aux survivantes les ressources dont elles ont réellement besoin pour guérir et prospérer.

Des recherches académiques approfondies continuent d’explorer ces questions complexes, soulignant la nécessité d’une analyse intersectionnelle qui tienne compte des différentes façons dont le genre, la race, la classe et d’autres facteurs façonnent l’expérience de la violence et l’accès à la justice.

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Bonjour, je m'appelle Théo, j'ai 39 ans et je suis journaliste. Passionné par l'actualité et l'investigation, je m'efforce de dénicher des récits authentiques et percutants qui éclairent notre monde. Sur ce site, vous trouverez mes articles, analyses et réflexions sur divers sujets qui me tiennent à cœur.